Normandie-Niemen
Faute de moyens, le Musée est fermé aux Andelys depuis décembre 2010 mais un espace Normandie-Niemen a ouvert au Musée de l'Air et de l'Espace du Bourget au printemps Vous pouvez y retrouver les collections dans un bâtiment spécialement rénové et aménagé.

L'association du Mémorial continue d'exister, nous continuons d'entretenir la mémoire de tous ces hommes qui ont fait l'histoire du N.N comme nous l'avons toujours fait. Nous ne nous démobilisons pas et vous pouvez vous aussi nous rejoindre.

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Mémorial Normandie-Niemen
Musée de l'Air et de l'Espace
Aéroport de Paris-Le Bourget
B.P. 173
93352 LE BOURGET cédex

Le Mémorial étant autorisé à recevoir dons et legs, il vous sera adressé un reçu fiscal.
Ainsi 60 % de votre don sera déductible de vos impôts. Merci de votre générosité.

Nous remercions tous ceux qui ce sont mobilisés pour sauver le musée aux Andelys.
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 Fantastique texte de Joseph Risso

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3 participants
AuteurMessage
Chuck Yeager

Chuck Yeager


Messages : 14
Date d'inscription : 24/06/2011
Age : 53

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MessageSujet: Fantastique texte de Joseph Risso   Fantastique texte de Joseph Risso EmptyLun 1 Oct 2012 - 18:06

Bonjour,

Je profite des 70 ans du Neuneu pour partager qualques textes dont celui-ci écrit par Joseph Risso qu'il m'avait envoyé en 1998. Il ne s'agit pas de souvenirs de Russie mais de son aventure pour rejoindre la France Libre et de ses missions de chasse de nuit dans la RAF. Passionnant !!!!


SOUVENIRS D'UN FRANC-TIREUR DES F.A.F.L.
OU
UN METIER PAS COMME LES AUTRES : LE "TURBIN-LIGHT".




"Juin 1940. Pour tous ceux qui n'avaient pu en découdre, piaffant de rage après avoir rongé leur frein, la défaite, incompréhensible, inimaginable anéantissait leurs derniers espoirs. L'annonce de l'armistice, dans la douleur et les pleurs, en signant notre abandon, allait-elle les condamner à un repos forcé ? Certes, quelques esprits optimistes le considéraient comme temporaire, disant à qui voulait les entendre qu'il serait de très courte durée.

Face à ce défi dont la brutalité accablait la majorité des Français, étouffait les meilleures volontés, ne laissait place qu'à la seule alternative du désespoir ou du refus, quelques-uns, une poignée, choisirent le second terme. Décision simple, encore ne s'agissait-il pas d'un refus de façade dont la grandiloquence sied si bien aux grandes envolées, aux intentions éphémères. Pour un tout petit groupe d'amis, perdus dans la plaine brûlante du Chéliff algérien, dans l'est oranais, la question restait de savoir comment concrétiser ce refus, et rapidement. L'enfer est pavé de bonnes intentions... Le danger, en pareille circonstance, vient de l'imagination. Quand celle-ci occupe des cervelles de vingt ans, elle s'envole rapidement vers les sommets de l'utopie. Ainsi le groupe fondait-il à vue d'œil. Comment se soustraire à ce climat amollissant qui, chaque jour gagnait davantage, transformant volonté en velléité. En moins d'une semaine, tous les plans, échafaudés dans la fièvre, s'écroulaient. Les volontaires se retrouvèrent... trois. Echecs et abandons n'empêchaient nullement certaines langues de s'agiter, d'autant plus dangereusement qu'elles le faisaient sous le sceau du secret. Il fallait décider, et vite.

C'est ainsi que germa l'idée d'emprunter, pour l'évasion, l'avion qui, chaque matin, de très bonne heure, assurait le courrier. C'était un Caudron Simoun, que N... et moi-même connaissions bien pour l'avoir piloté et apprécié pendant notre stage d'initiation à l'Ecole de pilotage d'Ambérieu. Ce temps heureux remontait à moins de un an. Bien que monomoteur, ce choix s'imposait malgré un survol prolongé de la Méditerranée ; la destination finale choisie était Gibraltar. Avantage, ô combien appréciable, alors que le temps nous était compté, le démarrage d'un seul moteur devenait une aubaine. En effet, le terrain de Nouvion, point de départ, était placé sous haute surveillance. Il importait de ne pas éveiller les soupçons, d'éviter les pièges, les sentinelles. La moindre erreur dans la marche d'approche pouvait conduire à l'échec.

L'action se conjuguant mal au passé, mieux vaut adopter le temps présent.

Nous sommes le 25 juin 1940. Le départ est fixé pour le lendemain au petit matin. Lever avant l'aube, rassemblement furtif, nous voici prêts pour l'aventure. Après moult péripéties qui nous font vivre intensément le moment : approche silencieuse dans la fausse clarté de l'aube, le vacarme occasionné par un caillou qui roule sous la chaussure, le pied hésitant, le crissement du cuir qu'amplifie le silence, l'attente angoissante du "Halte-là !" menaçant, le cœur qui bat la chamade et dont chaque battement rend le pas encore plus hésitant au fur et à mesure qu'approche le dénouement, alors qu'en réalité nous ne sommes qu'au commencement et que tout reste à faire, que se précise l'action, nous abordons l'aire sur laquelle s'alignent les Simouns.

Ne prendre aucun risque, ne pas se précipiter, telle est la consigne. Ce faisant, nous devenons les précurseurs, involontaires, de la P.P.V. (préparation pour le vol), opération du ressort des mécaniciens avant la guerre. Inspection du premier avion qui se présente à nous. Il nous parait normal malgré une roulette de queue écrasée, inanimée. Elle gît, résignée, semblant ignorer l'étambot qui, au fuselage la relie. Le suivant ne semble atteint d'aucune anomalie. Hélas ! Sous une apparence de vie, il cache une insurmontable apathie : ses réservoirs sont vides. Cela n'est pas de bonne augure. La consigne de rendre inutilisables tous les avions aurait-elle déjà été suivie d'application ? En ce cas, il nous faudrait une chance insigne pour découvrir l'avion affecté au courrier. Est-ce lui ? Nous ne saurons jamais. Extérieurement, le troisième répond à notre attente. Reste la batterie ? Elle est en place, débranchée. N... monte à bord, pendant que je donne vie à ce cube de bakélite noire dont dépend notre sort. Contact batterie... Soulagement ! Comme un arbre de Noël que l'on illumine, le tableau de bord brille de tous ses feux. Les lampes du train d'atterrissage jettent l'éclat de leur couleur verte, l'espoir éclaire le manomètre du démarreur. Chacun respire profondément, ne souffle mot. Tout va maintenant se jouer dans un seul geste, libérateur ou... Le manquer, et c'est la condamnation, irrémédiable. Pas de précipitation, bien exécuter chaque action "vitale". Jamais cet adjectif n'a revêtu autant de signification. Robinet d'essence ouvert, injections, pas plus de trois pour ne. pas courir le risque de noyer le moteur. Pousser lentement le levier de la pompe afin d'éviter les toussotements qui annoncent l'étouffement. Contact. Démarreur. Sans une hésitation, le moteur répond. N... tire sur la manette des gaz. Dans. le concert international des gens de l'air, nous, Français, nous distinguions en tirant sur la manette des gaz pour donner toute sa puissance au moteur, d'où l'expression de : "mettre la manette dans sa poche" pour exprimer le "plein gaz", alors que dans les autres nations, nos collègues aviateurs poussaient la manette en avant. N... tire à fond sur la manette. Malgré l'heure matinale, un réveil précipité, le 220 Renault ne nous tient pas rigueur de ce manque d'affection. Il donne, sans un raté, toute sa puissance. Son ronronnement emplit la cabine, mettant fin à notre anxiété. Plein gaz ! Le Simoun roule, cahote, accélère. Le roulement se fait de plus en plus doux, s'estompe, s'évanouit. Le Simoun s'élève, ouvrant toute grande, dans les lueurs du jour qui se lève, la route de l'espérance. Le 26 juin 1940 commence l'aventure. Elle durera cinq ans !

Cap au nord-ouest, nous nous éloignons de la côte et nous enfonçons dans la partie bleu sombre du ciel que le soleil levant n'a pas encore séparée de la mer. Disparaître au plus vite, telle est notre seule préoccupation. Sait-on jamais ? A supposer que le courrier régulier ait été décommandé, notre départ intempestif ne risquerait-il pas de déclencher l'alerte, avec comme corollaire, le décalage d'une patrouille de chasseurs basés à Oran-la-Sénia ? Mesure de précaution qui, en vérité, s'évanouit rapidement au moment où nous réalisons que, pour la première fois depuis notre entrée dans l'aviation, nous sommes totalement maîtres de notre vol. Nous montons à l'altitude de 1.000 mètres. C'est la liberté.

Virage, cap à l'ouest. A l'aide d'une page arrachée à l'atlas prêté par un ami, nous contrôlons notre progression. Lentement la côte algérienne s'éclaire avec la montée du soleil. Gibraltar ne se trouve qu'à quelques 250 kilomètres, à une heure et un quart de vol a peine. Persuadés que l'on nous y attend, nous n'avons pas envisagé d'autre destination. D'ailleurs, quelle autre destination serait possible, exception faite du Portugal ? Et puis, à quoi bon tant de questions Une sorte de léthargie nous gagne, accentuée par le vide du ciel et de la mer. Le temps s'écoule doucement quand l'apparition, dans le lointain, d'une ligne plus sombre met un terme à nos vagabondages. Elle se précise, devient de plus en plus nette. C'est la côte espagnole qui descend à la rencontre de la côte africaine. Nos regards fouillent la mer, vers le sud. Soudain, illuminé par le soleil rasant, surgit le Rocher. Dressé, tel un château-fort, sa muraille blanche au-dessus de la mer bleue, immense point d'interrogation jailli de l'eau. Cette apparition nous réjouit. Nous ignorons combien d'inconnues se cachent derrière ce rempart, à commencer par l'Océan, immense.

Rasant la face nord du Roc, nous amorçons un premier tour de la forteresse pour tenter d'y découvrir l'espace nécessite à l'atterrissage. Nous survolons la rade, encombrées de bateaux et de navires de toutes tailles et de tous gabarits. Sur les ponts quelques badauds, figés, surpris par cet intrus aérien venu à une heure aussi matinale. Nous contournons le Rocher, revenons en Méditerranée, longeons la falaise. De violents, remous nous obligent à nous en écarter. Nos yeux écarquillés cherchent vainement LE Terrain. Rien en vue qui puisse prétendre au qualificatif d'aérodrome. La Forteresse, maître du Détroit qui commande à toue la Méditerranée, serait-elle dépourvue de cet instrument indispensable des temps modernes ? Il faut nous rendre à l'évidence. La seule surface offerte, maigre substitut, se présente sous la forme d'un hippodrome ! Ce sera une première pour notre Simoun et les Gibraltariens. Et bien non ! Le sort, en la présence de quelques Tommies occupés à l'entretien des pelouses, en décide autrement. Figés par l'émotion de notre brusque apparition, il lèvent vers l'importun un regard ahuri alors que nous survolons le champ de course dans l'espoir de leur faire comprendre nos intentions. Et voilà que de La Linéa, ville frontière, la D.C.A. espagnole entre en action, sans considération de la zone tampon baptisée, pour notre malheur, "No man's land" par les Anglais. Les artilleurs espagnols ont tout de suite deviné notre but et n'ont cure du "No man's land". Qu'importe en cet instant, le vocabulaire. Mourir alors qu'on touche au port ? Ce sera le sort de l'équipage d'un Glenn Martin à une quinzaine de jours de là. Non ! Une décision rapide s'impose. N... opte pour la plage toute proche. D'E... notre compagnon, ancien des Brigades internationales, blêmit. S'il peut, étant originaire de la région de Toulouse, justifier de sa connaissance de la langue espagnole, éluder les questions embarrassantes quant à notre arrivée insolite sur le sol espagnol, comment pourrait-il expliquer, quelques papiers compromettants contenus dans son portefeuille ? Il est trop tard pour les confier à la Méditerranée.

Déjà, N... se concentre dans la manœuvre d'approche d'une plage de sable sec comme seule la Méditerranée sait en fabriquer. Elle pourrait nous réserver bien des surprises, mais il n'est plus temps de penser au capotage et à ses conséquences possibles pour l'équipage. Nous percevons le frémissement des roues au contact du sable fin, le Simoun s'enfonce, lentement, puis de plus en plus lourdement. Il devient plus pesant, manifeste son désagrément d'être freiné aussi brutalement, la queue se soulève, sensation ô combien désagréable de totale impuissance, le nez suit le mouvement inverse, s'abaisse, menace de poursuivre sa courbette. Inerte, car les contacts ont été coupés, l'hélice laboure le sable qui crisse. Le basculement vers l'avant, enfin, s'arrête. Un instant, le Simoun hésite, puis trouvant la position peu confortable, il reprend une attitude plus décente. Ouf ! Nous voici à terre.

Le temps d'y poser le pied, et déjà une visite. Qui a bien pu alerter les carabiniers, jaillis de l'on ne sait où, et qui ne nous quittent pas des yeux ? Il en est de même pour N... et moi-même, nous ne pouvons détacher nos regards de ces étranges couvre-chefs qui surmontent leur silhouette, réplique dépouillée et sans élégance de la coiffe des matadors. D'E... leur explique que, partis d'Algérie, ce qui est vérité, nous nous sommes égarés, ce qui est moins vrai, et que nous demandons l'hospitalité. Nous serons les hôtes du contre-espionnage espagnol pendant une bonne partie de notre séjour à La Linéa, séjour qui commence dans locaux de ce service par un déjeuner peu ordinaire : l'ingestion lente et délicate, il convient de ne pas donner l'éveil, des papiers compromettants de notre ami.

Nous voici installés, nourris et logés, sans souci de savoir qui paiera la note. Notre préoccupation est de toute autre nature : si près du but de devoir tout recommencer. Quatre cent mètres à peine nous séparent de Gibraltar. La largeur du "No man's land" que de nombreux autochtones franchissent chaque matin pour leur gagne-pain. Va-et-vient quotidien qui ne manque pas de nous étonner, Gibraltar n'est-elle pas la pomme de discorde entre l'Espagne et l'Angleterre depuis plus de deux siècles ? Quatre cent mètres et au bout la liberté ! Ce n'est pas la mer à boire pour des aviateurs décidés ! Quelques brasses dans l'Océan et nous voilà sauvés ! Hélas, est-il possible qu'en l'an 1940 un Sous-Officier pilote ignore tout du principe d'Archimède ? C'est pourtant le cas de N... qui n'a pas encore atteint ce stade de l'indépendance. Il convient de rechercher et de trouver le moyen de mettre rapidement un terme notre situation d'internés.

Situation qui risque de devenir sous peu inconfortable, tant vis-à-vis du Consul d'Angleterre qui, informé par on ne sait quel moyen de notre présence en ces lieux, pourrait douter des raisons véritables de ce séjour forcé, que des autorités espagnoles. Selon toute vraisemblance, désormais chargées par nos représentants à Madrid de nous rapatrier à bref délai, elles nous entourent de la plus grande sollicitude. Situation d'autant plus délicate que, pour donner le change au policier attaché à nos personnes, nous remercions chaque soir, à l'heure du salut, l'Espagne pour son hospitalité, figés dans un garde-à-vous militaire, bras tendu comme tout bon Espagnol, pendant que les haut-parleurs diffusent l'hymne franquiste. Nous croyons notre internement terminé quand, un soir de juillet, D'E... nous annonce un départ imminent pour la nuit même, un pêcheur se chargeant de nous transporter au-delà des barbelés. Le baluchon allégé, nous attendons patiemment le signal, allongés sur nos lits. Un coup discret frappé à notre porte vers deux heures du matin nous fait sauter du lit. La porte s'ouvre. Dans l'encadrement apparaît un policier en civil qui nous invite à le suivre. D'E... qui, en raison de son grade, dispose d'une chambre à part, nous attend dans le couloir, mine contrite. N... et moi ne saurons jamais le mot de la fin de cette première étape espagnole.

Alors commence sans tarder, l'élaboration de la deuxième phase de l'évasion, la situation prend, en effet, l'allure d'un dénouement : le retour en France, via Algérisas et Séville, où nous passons quelques jours, le temps d'admirer ses jardins ombragés, la Giralda et autres vestiges arabes, de faire la connaissance de son fleuve au nom étrange de Guadalquivir, de nous familiariser avec le fandango, nous touchons Madrid après une nuit épuisante dans un train bondé, le temps nécessaire pour franchir ce petit Sahara qui sépare Séville de Tolède. On nous remet aux autorités consulaires de notre pays qui nous confient, heureux hasard, à une famille francophile encore sous le choc de la défaite de la France. Dernière escale avant le retour dans la mère-patrie il nous faut donc agir au plus vite. Pour une fois, nous apprécions la lenteur des services officiels. Elle sera notre chance.

Elle se manifeste dès le lendemain de notre arrivée dans la capitale en la personne du Secrétaire de l'Attaché militaire français auprès de l'Ambassade de France en Espagne. Ayant eu à connaître de nos déclarations faites à La Linéa, sceptique quant au fond, il souhaite nous rencontrer. Il se présente et, sans ambages ni préliminaires, il nous pose la question qui contient en elle-même la réponse :
- Votre destination....... c'est l'Angleterre ?
- Eh oui !
- J'ai votre affaire !
Joignant le geste à la parole, il tire de sa poche un appareil photographique et, sur le champ, nous "tire" le portrait. Deux jours après, au cours d'une brève entrevue, il nous remet un passeport - nous voici devenus pilotes de l'Ambassade de France - un billet de chemin de fer à destination de Barcelone et une somme d'argent fournie par l'Ambassadeur de Grande-Bretagne pour nous permettre l'achat d'une veste civile, nous indique la marche à suivre pour déjouer les pièges de la police, nous fournit, verbalement, l'adresse ou nous devons nous rendre sitôt arrivés dans la capitale catalane. Il s'éclipse. Nous ne le reverrons jamais. Gageons qu'il suivi avec attention notre progression vers la liberté.

A l'heure convenue, abandonnant veste et casquette d'uniforme, nous quittons nos hôtes sur un simple "bonsoir" comme si nous partions pour une courte promenade. Nous gagnons la gare. Le trajet et le voyage s'effectuent de nuit, les contrôles de police étant, paraît-il, plus légers, les agents plus accommodants.

Arrivée à Barcelone sans encombre. Nous nous présentons au Consulat d'Angleterre. Pour plus de sûreté, en silence, N... et moi suivons D'E... dont la connaissance de la langue nous permettrait, le cas échéant, de gagner un abri. Nous voici parvenus à destination. Les consignes du Consul sont d'une extrême brièveté. Après nous avoir demandé de nous défaire ce tout document ou photo jugés compromettants, il nous indique l'adresse de la famille qui nous hébergera, nous fera connaître en temps voulu ses directives pour la suite de notre voyage. A cette adresse, nous serons en sécurité, nos futurs hôtes lui sont redevables de ne pas être morts de faim pendant la guerre civile Sous aucun prétexte nous devons mettre le nez dehors et éviter, autant que possible, tout contact avec la fille cadette, membre d'une organisation phalangiste.

Jours sans fin. Trois semaines, interminables, passent. Notre seule distraction, outre celle qui consiste à rouler nos cigarettes, tant pour l'économie de tabac frais que pour l'utilisation optimum de nos mégots, est un jeu de circonstance : tenter de surprendre les dames d'en face dans une tenue évocative. Le champ visuel des persiennes limite l'appréciation des images, souvent furtives, mais donne néanmoins libre cours à notre imagination. La chaleur torride qui règne sur la ville rend plus pénible encore notre claustration. Jamais les mois d'évasion et de grand large n'ont pris autant de signification. L'instinct, toutefois, reste le plus fort, nous acceptons notre sort, persuadés qu'au bout se trouve le réconfort.

Enfin, parvient une nouvelle. Elle annonce le départ imminent de D'E... Finies pour lui les tribulations, nous le félicitons sans trop montrer notre déception, espérant que notre tour viendra bientôt. En effet, une semaine après cette décision, une brève conversation téléphonique nous invite à nous rendre au Consulat sans délai. Recommandation superflue. Il est 13 heures. Après un bref, mais combien émouvant "au revoir" à nos hôtes, nous prenons le chemin du Consulat, passant sans transition d'une semi-léthargie à un état extrême d'excitation. Devant une carte du port de Barcelone, le Consul, en personne, nous informe de l'appareillage imminent; d'un cargo battant pavillon égyptien, nous indique sa position à quai. Son commandant, en mal d'équipage a fait appel au représentant de Sa Majesté ; nos noms figurent d'ores et déjà au rôle des matelots. Nous devons donc gagner le bord sans tarder. Il nous indique le chemin, nous prodigue les derniers conseils. Un seul accès : la grille qui commande l'entrée du port, soumise a une surveillance permanente ! Toutefois, carabiniers et douaniers ont pour habitude de se réunir à l'heure du déjeuner ; vers quatorze heures, leur vigilance se relâche quelque peu ; c'est le moment de passer. Bonne chance !

Direction le port. Les directives du Consul sont exécutées à la lettre. D'un pas naturel, sans hâte, le regard fixé sur le lointain, l'oreille sourde, nous franchissons sans difficulté l'entrée. poursuivons notre chemin sans être inquiétées. A la vérité, quoi de plus simple qu'une évasion ? Nous débouchons sur le quai indiqué, apercevons le drapeau vert frappé du croissant rouge qui. pend lamentablement à la poupe d'une affreuse coque noire. Aucun doute possible, c'est bien le cargo annoncé. Inspection rapide. Au pied de l'échelle, se dressent deux silhouettes que nous identifions sur le champ, celles de deux carabiniers. Nous ont-ils aperçu ? Il est trop tard pour faire demi-tour, cela pourrait paraître suspect. Il nous faut continuer d'avancer et compter sur notre bonne étoile, la chance. Elle se présente sous la forme inattendue d'une pissotière. Malgré notre peu d'envie pour la fonction qui lui est normalement dévolue, jamais pareil édifice ne fut si bien venu. Nous nous glissons derrière le paravent protecteur, presque heureux de retrouver l'odeur si caractéristique de ces lieux. Nous n'avons d'yeux que pour les deux silhouettes qui semblent flotter dans le halo mouvant de la brume de chaleur de l'après-midi. Le silence environnant alourdit encore l'atmosphère, silence que souligne notre mutisme. Quand se décideront-ils à lever le camp ? L'instant s'éternise. Auraient-ils été alertés, par leurs collègues de l'entrée, et chargés de nous cueillir au moment de franchir le dernier pas ?

Tant de zèle de la part de ces fonctionnaires, à l'heure sacrée de la sieste, dépasse l'entendement. Patience ! A la limite si la surveillance devait se prolonger, elle impliquerait la relève des factionnaires. Par cette chaleur, la passation des consignes, mêmes brèves, ne peut se faire que devant une boisson fraîche. Le ciel répond à notre interrogation. Les carabiniers s'éloignent du cargo. Point poussés par un urgent besoin, ils passent lentement devant notre abri de fortune. Vive la "vespasienne" espagnole ! Pour des raisons que nous n'avons pas le temps d'approfondir, elle ne laisse rien filtrer à l'extérieur, même pas l'image bien connue des Français qui leur permet de connaître sans difficulté le taux d'occupation de cet édifice de bienfaisance. Nous sommes sauvés par le mur puritain de la vespasienne espagnole. Les deux silhouettes à peine disparues, nous nous précipitons vers notre asile flottant. L'échelle d'accès est relevée ! Appels discrets, renouve1és, sans succès. C'est le monde à l'envers, tout au moins de notre point de vue : des carabiniers au travail, des marins à la sieste ! Nous insistons. Enfin, un visage bouffi de sommeil apparaît. Nous tentons d'expliquer à cette momie que nous sommes des amis. Paroles, gestes, rien n'y fait. Apparemment, il est imperméable à notre langage. Nous sommes les nouveaux matelots, les nouvelles recrues, les navigators ! Enfin, il consent à descendre l'échelle. Nous sautons à bord.

Nous comprenons rapidement et sans explication aucune les hésitations de l'accueil. L'équipage réunit tous les représentants, ou presque, de l'Orient méditerranéen. Le "boss" est égyptien, le cuisinier, du moins celui qui semble régner en maître sur un recoin à l'aspect de cambuse, serait d'origine grecque, etc... Le capitaine de bahut flottant est irlandais. Notre arrivée le comble d'aise, il s'attache aussitôt mon ami comme steward. Steward ! Mot d'espoir, premier lien avec la liberté. J'assure la liaison entre le carré et la cuisine, en réalité un vulgaire fourneau en tient lieu. C'est peu, pour des matelots de vingt ans inactifs depuis deux mois Le travail est d'autant plus réduit que le "Captain" manifeste un goût prononcé pour un breuvage appelé "whisky", ce qui explique son visage couperosé. Son repas principal, pris le matin, se nomme "breakfast". Nous ne connaîtrons pas le nom des deux autres, vu qu'il semble en avoir fait le sacrifice depuis longtemps, les remplaçant par le whisky. Nous le soupçonnons d'être la cause du maintien à quai du cargo, prêt à appareiller. Le boss dit qu'il n'en est rien, que l'appareillage est subordonné à la venue d'un officier en second, attendu d'Angleterre, par avion. Sage précaution de la part de la compagnie de navigation, car notre raffiot n'a rien d'un coursier. Sous le seul commandement du Captain, il aurait eu du mal, même en cabotant, de toucher à l'escale suivante, Gibraltar, plaque tournante des convois maritimes transitant par le détroit du même nom.

Nous levons l'ancre, non sans mal. Celle-ci s'obstine dans son rôle et refuse de quitter le fond. Nouvelle frayeur de voir notre tentative échouer. Les agents du port, très soupçonneux lors de leur visite a bord, attendent sur le quai, on ne sait quoi. Nous sortons du port. Trois jours de navigation solitaire, le temps de saluer à nouveau le Roc, de dire bonjour à nos amis espagnols employés de Sa Majesté, manifestant un très grand étonnement de nous voir à bord, de rencontrer un homonyme en la personne d'un policeman, d'allure très britannique mais d'origine espagnole, d'expliquer au Gouverneur notre fugue de La Linéa, nous embarquons, comme passagers cette fois, à bord du paquebot Neuralia qui doit nous conduire en Angleterre. Nous venons grossir les rangs d'une population que l'on ne s'attend pas à trouver à bord d'un transport de troupe. Le militaire y est discret parmi une population civile dominée par l'élément féminin. Neuralia évacue vers la métropole tous les ressortissants non indispensables au bon fonctionnement de la forteresse, convoitée par Hitler et Franco. Aussi éprouvons-nous la sensation d'appartenir à un groupe parti pour coloniser quelque lointaine province.

Septembre 1940. Nous touchons Liverpool. Le mode de transport change Un train nous conduit jusqu'à Londres. La locomotive fait figure d'ancêtre. Sa silhouette ne rappelle en rien la magnifique Pacific 241 de 1a S. N. C. F. et nous laisse sceptiques quant au génie attribué à Stephenson. Ses successeurs, sans doute désireux de lui rendre un hommage éternel, n'ont rien modifié à l'invention originale ou si peu. Elle parvient, néanmoins, à remplir sa mission. Nous voici au terme du voyage après une escapade de plus de deux mois. Le calme des Londoniens, malgré les difficultés de l'heure, en particulier les bombardements incessants des Allemands, étonne le nouveau venu. Ayant échoué dans sa tentative de réduire la Royal Air Force, Göring lance la Luftwaffe à l'assaut des villes et de la Capitale. Si le port reste la cible préférée des bombardiers, les coups "manqués" pleuvent sur Londres.

Après une courte période qui nous permet d'apprécier la liberté retrouvée, de savourer l'atmosphère des "Pubs" et les délices des "Clubs", l'envie nous prend de nous rendre utiles. D'E..., rencontré par hasard, nous apprend son départ imminent pour l'Italie et son arrivée sur la péninsule en parachute ! Tant risqué lui parait le voyage qu'il préfère nous dire adieu. Nous ne le reverrons plus. N... et moi nous joignons à un groupe de forts à bras décidés à tout pour participer, sans délai, au combat. Hélas, faute de l'existence d'une Légion étrangère, l'Angleterre ne peut satisfaire désir aussi sincère Nous voici complotant, vouant aux gémonies les incapables de l'Etat-Major de Carlton garden, jusqu'au soir où, sans préavis, Hitler met fin à nos secrètes réunions nocturnes. Les bombardements diurnes s'étant révélés trop meurtriers pour la Luftwaffe, Hitler change de tactique et adopte le bombardement nocturne. Alors que nous pensons avoir atteint notre but, qui dans la Royal Air Force, qui dans la Royal Navy, qui dans l'Army, une bombe nazie nous ramène à la réalité. Pulvérisant l'édifice religieux de l'autre côté de la rue, secouant dangereusement l'hôtel de nos réunions, elle met un terme à nos élucubrations.

L'illusion, à l'âge de vingt ans, est tenace. Elle renaît aussitôt à l'annonce de la création de la première Unité d'aviation française. On demande, c'est la coutume, des volontaires. Nous voici à l'Etat-Major. On nous apprend le départ imminent de cette unité pour... l'Afrique équatoriale. La perspective d'une nouvelle traversée maritime ne m'enchante guère. Trop tard pour reculer, un volontaire se tait. Que faire ? L'expérience que je viens de vivre m'incite à ne pas brusquer les choses. Wait and see. Comme tout un chacun, je perçois l'équipement ad hoc, du pur style britannique, casque colonial et short anti-moustique, le précurseur sinon l'inspirateur du futur "Bermuda". Quel attirail pour un guerrier ! Il n'incite guère au mouvement. Quant à le transporter jusqu'en Afrique, je sens mon courage fléchir. Le jour du départ, mon asthénie est telle qu'elle m'interdit tout déplacement. Je manque le train qui transporte le contingent jusqu'au port d'embarquement, son arrivée est prévue une heure avant l'embarquement. Ce retard me vaut, le lendemain, de connaître la joie de me débarrasser de mon fardeau en échange de huit jours d'arrêts de rigueur.

La punition n'étant pas de pure forme, son exécution, à défaut de salle idoine, oblige le Commandement à m'enfermer dans un local désaffecté, au huitième étage d'une bâtisse qui tient lieu de caserne. Cette caserne nouveau style est placée sous la férule d'un Officier supérieur des Chasseurs alpins qui, pour des raisons toutes personnelles, ne porte pas les aviateurs, ces bon à rien, dans son cœur. Le "branleur de manche" que je suis va apprendre, scrogneugneu, la discipline, la vraie, celle des chasseurs, les vrais ! Consigne respectée, je suis traité comme un prisonnier.

De la gare voisine, Euston station, me parvient le son des sifflets des trains en partance. Avec eux je pars pour York, Edimbourg, l'Ecosse, voyage imaginaire qui me tient lieu de promenade. Si j'envie cette gare, symbole d'évasion, d'autres la visent pour des raisons sans rapport avec mes préoccupations. Encore les Allemands ! La nuit du troisième jour de pénitence, le quartier se réveille brutalement sous les sifflements des bombes et les explosions. Bloqué dans mon huitième étage gouverné par l'Intransigeance, je trouve plutôt désagréable la situation. Soudain, la caserne improvisée tressaille sur sa base, frémit de toute sa carcasse. Sensation pesante d'impuissance. J'attends l'explosion qui m'enverra "ad patres". Rien ! Etait-ce la dernière ? Les explosions voisines se sont tues. Pas de doute, c'est une bombe à retardement qui vient de s'enfoncer dans la chaussée à quelques yards de la bâtisse. Quelque peu ébranlée elle aussi par le danger, l'Intransigeance commande l'évacuation d'urgence. En mettant fin prématurément à mes arrêts, la Luftwaffe vient de décider de mon sort. Profitant de la confusion entraînée par ce branle-bas, je reprends ma liberté. Par les rues désertes, valise sur l'épaule, je gagne un lieu connu pour son hospitalisé. Honni soit qui mal y pense. Ce lieu se nomme Y.M.C.A.

A quelque temps de là, comme tous les pilotes français en attente, exceptés les glorieux survivants qui ont participé à la bataille de Londres, je gagne Odiham pour reprendre 1'entraînement. Après quatre mois de farniente, ce retour à la vie active me réconforte. Hélas ! Il me faut déchanter. L'école d'Odiham n'abrite que des débutants. Il me faut repartir de zéro, compter huit longs mois avant de prétendre une affectation dans uns unité de combat. Non ! Ne fait pas la guerre qui veut.

Ne serait-ce le drapeau de l'Union Jack flottant au sommet du mât, on pourrait croire la base étrangère à l'Angleterre. La langue qui a cours dans cet espace est le français. Outre un nombre appréciables de Continentaux évadés : Belges, Français, ceux qui portent l'uniforme anglais sont, dans une large majorité, des Canadiens français. Certains soirs, le mess lui-même perd de sa sérénité britannique. Les hasards des replis stratégiques, en l'occurrence celui de Norvège par les troupes françaises du corps expéditionnaire, nous vaut de bénéficier des largesses de l'Intendance, largesses qui se présentent sous la forme d'énormes foudres de "gros rouge". L'absence de bonde proportionnée aux besoins oblige au siphonnage par le haut du précieux nectar. Amorcer un tel siphon suppose, de la part du préposé, un coffre de grande capacité. Faute de cette disposition, quelques estomacs succombent à la tâche, avec les conséquences que l'on devine peu en rapport avec le flegme de nos hôtes, d'autant plus choqués que le pissenlit, vers la fin du mois d'avril, agrémente nos dîners. Toutefois, il serait inexact de penser que les agréments de ce centre sont exclusivement d'ordre gastronomique. Je découvre, un certain jour resté gravé dans ma mémoire, les avantages du cosmopolitisme.

Elève-pilote français, j'ai comme instructeur un pilote de nationalité belge qui porte le nom de Prévot. Ignorant tout de la perfide brume sèche, plus traîtresse que le "fog" bien connu des potaches, je décolle par un bel après-midi ensoleillé de novembre pour un vol solo. Je constate, les roues à peine levées, que les repères habituels ont disparu, escamotés. A l'altitude de deux cent mètres, la visibilité verticale se révèle excellente, mais trompeuse ; elle n'autorise que la vision éphémère d'une étroite langue de terre. Au bout d'un quart d'heure, voire moins, je suis, suivant l'expression consacrée, paumé. Ceux qui ont connu les pièges ces compas britanniques comprendront mon désarroi. Une solution rapide, si je ne veux pas connaître les affres de la panique : trouver un champ accueillant, m'y poser et demander ma route. La chance me sourit. Sous mon aile défile un pré. On le croirait sélectionné : rectangle parfait, il présente sur l'un de ses petits côtés, une forme qui, sauf erreur ne peut être qu'une ferme.

J'atterris, roule jusqu'à la hauteur de la bâtisse. Personne pour m'accueillir. Les volets ouverts indiquent qu'elle est habitée. Apparemment, les bruits de moteur n'inquiètent plus les riverains du Channel, habitués aux exhibitions de ceux d'en face. L'inquiétude me gagne. La situation parait sans issue. Quitter l'avion sans couper le moteur, c'est risquer de voir la monture détaler, le couper, c'est craindre de le voir refuser toute collaboration au moment de la remise en route. A grands coups de moteur, je tente d'alerter les vivants ce cette étrange demeure. Enfin, une tête apparaît. Sur un signe de ma main, son propriétaire daigne s'avancer. Curieusement, ma présence dans son champ n'a pas l'air de le surprendre. Faisant appel à mon meilleur anglais de m'indiquer "the nearest R.A.F. station". Aucune réaction, la phrase doit être trop longue pour que mon accent la rende compréhensible pour une oreille d'autochtone. O-DI-HAM ! J'aspire de H aussi profondément que je faisais pour le mot Haricot à l'école...? Passe, illusion, me voici définitivement paumé. Alors me vient une idée, mon interlocuteur me paraissant de la race des terriens endurcis, de me référer à la gare qui dessert la base, dont les syllabes correctement détachées, pourraient être saisies par un sourd. BAI-SIN-STOCK ? Gagné, son regard s'éclaire. Il me tourne le dos et, d'un geste vigoureux d'un bras, la direction par dessus le toit de sa maison. Je décolle, trouve la gare, longe la voie ferrée, aperçois le terrain. Je suis dans les temps, atterris, rends compte aussitôt de ma mésaventure à mon moniteur. Il m'écoute, sourit et me dit : Impossible ! J'ignore toujours pourquoi cela fut impossible !

Vient la phase de voltige. On disait autrefois acrobatie. J'hérite d'un nouveau moniteur, belge lui aussi, mais venu du Congo. Le hasard a de ces bizarreries... Il arrive de cette Afrique où je devrais me trouver sans ce départ manqué. C'est un Ancien, quarante deux ans avoués. Habitué de la savane, des vastes étendues, il découvre la campagne anglaise et ses pièges. I1 se méfie et on le comprend. Entre l'immensité de la forêt équatoriale et les cottages qui se multiplient à l'infini dans un dédale de routes entrelacées de voies ferrées, entre le majestueux fleuve Congo et la Tamise et autres ruisseaux, il n'existe aucune commune mesure. Changer d'échelle demande temps et patience. Grâce à lui, mon vocabulaire s'enrichit d'un terme aéronautique nouveau.

Moi en place arrière, lui en place avant, avec pour toute liaison le tube acoustique en guise d'interphone, nous décollons pour la première séance de voltige. Le secteur de travail atteint, à la verticale d'un des rares tronçons de voie ferrée qui épouse la ligne droite, je lance le Miles Magister dans la première figure, un renversement à gauche. En ce temps là, toute séance ne pouvait commencer que par un renversement à gauche ! Basculement, la voie ferrée ne s'est pas dérobée. Loop, les Britanniques, pour des raisons inconnues l'ont amputé du "ing" des Français qui, depuis se sont vengés en le traduisant par "boucle", la voie ferrée, un court instant, disparaît. Immelman, en anglais "loop and roll", le tout coupé en deux. Arrivé sur le dos, alors que le moteur tousse et manifeste sa mauvaise humeur, me parvient dans les écouteurs la voix angoissée de mon moniteur. où est la Plaine ?... De quelle plaine veut-il parler ? Il réitère sa demande : la Plaine ? L'airport quoi ! Ah, c'est donc le terrain qui est l'objet de son souci et qu'il a du perdre de vue. Et moi qui comptais sur lui pour rentrer au bercail ! D'où l'intérêt sinon la nécessité de conserver, avec ou sans moniteur, l'axe.

Vers la fin du mois d'avril, les plus avancés sont dirigés sur la base de Turnhill, encore un H aspiré, dans une province au nom singulier pour un français de Salopshire, prononcé Salop par les Anglais. Nous y venons pour acquérir les rudiments du métier glorieux dont rêvent les ambitieux : celui de Chasseur. Aussi, et sans aucun complexe, nous transformons le F de Flying Training School en Fighter Training School. Fighter, mot souverain à qui les deux suivants abandonnent la préséance. Fighter introduit au langage gestuel en vogue dans la chasse. La caractéristique du chasseur ne réside-t-elle pas dans l'agilité de ses doigts à simuler les différentes phases du vol, trop longue à décrire par la parole ? Donc première leçon obligatoire, indispensable au futur chasseur : exercer ses phalanges.

L'avion appartient lui aussi à la famille des Miles. Toutefois, il a été élevé à la dignité de , Master ! Chose rarissime, vues de l'avant, ses ailes dessinent un "W" aplati. Dans cette ligne insolite ne réside pas sa seule particularité. Le train d'atterrissage, modèle sans doute imposé par la forme de l'aile, s'anime d'un mouvement curieux dans sa phase de rentrée ou de sortie, car il est du type "rentrant". Il exécute une manœuvre en deux temps pour parvenir à se loger dans l'espace de 1'aile qui lui est réservé : la roue pivote de 90 degrés autour de sa jambe, s'immobilise dans cette position perpendiculaire au sens de la marche et alors seulement commence son mouvement ascendant pour gagner son logement. Une seconde particularité tient au poste de pilotage du moniteur. Situé à l'arrière de celui de l'élève, il est équipé d'un astucieux dispositif qui permet au moniteur de relever son siège et son pare-brise dans la phase critique de l'atterrissage.

Bien que biplace, c'est déjà un chasseur. Il possède, certes léger, un armement, un collimateur, un manche équipé d'une détente de tir identique à celui d'un monoplace de chasse. Si sa silhouette étonne, si son image emballe, ses performances n'exigent aucun effort particulier dans le domaine de la mnémotechnique. Que ce soit en montée, en vol horizontal ou en approche, sa vitesse ne varie pas : 110 mph ou miles par heure. Ces MPH sont modestes, n'ayant pas réussi à quitter la terre ferme. Traduites sur le méridien de Greenwich, elles ne représentent que 1.604 mètres, contre les 1.852 mètres de son homologue maritime. En libérant au moins deux cases de la mémoire de l'Elève-pilote, cette réduction, sans doute involontaire, à une vitesse unique ne peut que faciliter sa tâche.

Avec le Master, nous effectuons nos premiers vols de nuit dans un pays où les consignes sont rigoureusement appliquées et suivies. Nous faisons connaissance avec le "Black out", mot qui dispense de tout commentaire. En guise de familiarisation, trois tours de piste en double commande que suivent, sur la lancée, trois tours en solo, après que le Moniteur, au moment de quitter son siège, nous ait gratifié d'un "Good luck" qu'il veut réconfortant. De réconfort, nous avons grand besoin. Sitôt franchie la dernière lumière du balisage, la nuit nous saute au visage. On s'enfonce dans une sorte de ouate profonde, indéfinissable, sans contour. Cela dure de longues minutes. Bien que d'un modèle archaïque, il ne craint aucune panne, le balisage respecte la règle du black-out. Il possède la particularité de se rendre invisible à tout regard planant à une altitude supérieure à 1.000 pieds. S'ajoute la légende du vol de nuit, chaque promotion apportant sa pierre à cette construction. Comme par hasard, la légende se manifeste la veille de la première séance. Et chacun de consulter le calendrier, souhaitant vivement y lire que la lune sera à son apogée, période préférée des non-initiés. C'est généralement le contraire qui arrive. Les aléas de la progression placent souvent les vols de nuit dans la période qui requiert de la part du moniteur un "Good luck" des plus sincères. D'autant plus que certains vols se déroulent partir d'un terrain de desserrement dont le moins que l'on puisse dire est qu'il manque d'envergure ou d'équipement. A partir du terrain principal, le lâcher solo frise déjà l'aventure.

Ainsi du lâcher de M... Il effectue les trois tours de piste réglementaires à la satisfaction du moniteur qui le libère avec le traditionnel "Good luck !" Allégé, le Master roue jusqu'au starter en zigzaguant, M... ne tient pas à perdre de vue les précieuses lumières qui, d'un seul côté, balisent le chemin de roulement. Parvenu à l'aire de départ, M... procède aux vérifications d'usage, cale le directionnel au Q.F.U. (cap magnétique) de la piste. Le starter, d'un éclat vert de sa lampe Aldys, autorise l'alignement. Dernières vérifications. Tout est normal, pense M.. Off I go. De longue flammes bleues encadrent le capot du moteur. Le Master roule. Les cahots s'estompent, disparaissent. Train, volets, vitesse, puissance, hélice, horizon, directionnel, tout est parfait. Splendide, pense M... en son for intérieur. Sans dévier, le Master poursuit sa montée. Quel doigté ! L'altitude de 1000 pieds est atteinte. Premier virage de 90 degrés. L'horizon artificiel obéit instantanément. Quid du directionnel ? Il s'obstine à marquer le cap précédent, semble atteint de paralysie. Au "pif", M... arrête le virage, positionne le directionnel au nouveau cap, libère la mollette de commande, constate que 1'instrument fonctionne alors normalement. Que s'est-il passé ? Sans doute ému a l'instant du décollage, M... a dû oublier la petite molette qui lui a permis de se congratuler, pendant les quelques minutes de la montée. Faute d'avoir été libéré, le gyroscope aux deux degrés de liberté se révélait un dangereux illusionniste.

Dans cette toute première équipe de Français admis à pénétrer les secrets de la Chasse figurent Maridor et Yves Mahé. Je connais Yves depuis notre entrée à l'Ecole de Perfectionnement d'Istres. Une solide amitié nous lie à Jean Maridor. A l'issue de ce stage, nos connaissances doivent être confirmées dans un O.T.U. (Operationnal Training Unit). Néanmoins, une première sélection s'opère ici. Il faut s'y préparer. Après de longues discussions, Yves et moi abandonnons Jean qui refuse nos vues quant au meilleur choix pour se mesurer rapidement avec l'ennemi. Estimant qu'avant longtemps la chasse sera cantonnée dans un rôle défensif, nous pensons que la seule solution qui reste aux émigrés que nous sommes est une affectation dans le bombardement. Nous serons bombardiers. C'était compter sans l'amphi-garnison.
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Chuck Yeager

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Fantastique texte de Joseph Risso Empty
MessageSujet: Re: Fantastique texte de Joseph Risso   Fantastique texte de Joseph Risso EmptyLun 1 Oct 2012 - 18:08

Le hasard veut qu'Yves et moi nous nous présentons ensemble devant les trois officiers britanniques qui composent le jury. Sauf à décider d'une éventuelle élimination pour insuffisance, ce que nous croyons impossible, dans quelle affectation pourraient-ils nous diriger ? Nous pensons, à tort ou à raison, que l'amphi-garnison est une réminiscence d'un passé révolu. Nous voici devant nos trois juges, sérieux, dignes, en un mot très britanniques. L'échange est bref :
- Où souhaitez-vous servir ?
- Dans le bombardement.
Choc, surprise, étonnement ! Suit un "'Thank you". C'est tout. Cela nous vaut, à quelque temps de là, de nous retrouver tous les deux affectés à l'escadron n° 253. Le two five three, appellation familière, se trouve présentement dans l'archipel des Iles Orcades, célèbre pour y abriter la plus grande base navale de la Home Fleet : Scapa Flow. Mais n'anticipons pas. La décision ne nous sera notifiée qu'après l'accomplissement de la dernière obligation de l'entraînement, 1'O.T.U. Elle se déroule sur la base de Debden, ville située à une centaine de kilomètres au nord de Londres. Londres ! Ville chère au cœur de tout chasseur. Notre joie éclate. Sait-on jamais ? Le hasard pourrait nous mettre en présence d'un avion allemand égaré ? Une victoire avant l'affectation en unité, quel exploit ! Les jours passent, point d'égaré.

Pourtant les émotions ne manquent pas. De nouveau, je fais la connaissance, bien involontaire, d'un champ de cette bonne Angleterre. Trois Hurricanes décollent pour un exercice de formation, d'abord serrée, de combat ensuite. J'occupe la position de l'équipier n° 2. Alors que depuis un temps indéterminé, je m'applique à conserver une position que j'estime magnifique de précision, eu égard aux difficultés que semble éprouver mon camarade qui vole dans la position de n° 3, position ô combien délicate, sans autre souci que celui d'ajuster la manette des gaz ; brusquement, un premier toussotement du moteur suivi d'un tressaillement de toute la carlingue met fin à ma béatitude. Ce toussotement, caractéristique des moteurs en mal de carburant, devient plus fréquent, s'évanouit subitement. Plus de ratés, un silence pesant m'environne, m'emprisonne, pendant que s'éloignent, avec une légèreté dérisoire, les deux avions.

A l'altitude de 1.000 pieds, pareille situation ne laisse que peu de temps à la réflexion. J'avise un champ de blé dont la longueur me paraît suffisante. Mieux vaut ainsi car le choix est ces plus réduits. Un virage rapide, à peine le temps de sortir le train d'atterrissage et les volets, le même levier assure les deux fonctions, que les roues s'enfoncent doucement dans les épis dorés de juillet. Intuition, hasard, chance, qu'importe l'alignement est idéal. Les roues touchent le sol et, sagement, suivent les sillons qui tirent l'avion dans la bonne direction. Le propriétaire doit être un amoureux de la terre ; à aucun moment un cahot ne met en danger le Hurricane qui conserve bien haut son nez. Puis, sans hâte aucune une pale de l'hélice se fixe, immobile, devant mon nez pour me signifier que tout est terminé. Ce qui n'interdit d'aucune manière de procéder aux vérifications après vol. C'est précisément en voulant fermer le robinet d'essence que je constate l'erreur qui m'a conduit dans cette solitude. J'ai omis de changer de réservoir en temps voulu. "Stupid !" dirait un anglais. Stupidité qui me vaut de manquer un rendez-vous pourtant préparé avec un soin tout particulier, le premier que j'espérais voir ouvrir une longue série. Hélas! la charmante personne qui devait le partager eut du mal à admettre mon escapade champêtre, rapportée sans détour par mon ami Yves Mahé en des termes peu glorieux : "He is down in a cornfield !"Ainsi, cet atterrissage en campagne que je considérais comme un exploit tournait a ma confusion. Allez donc conter fleurette à une demoiselle dont l'œil ironique ne cesse de vous rappeler un champ de blé.

Peut-être cet incident, en me révélant des talents cachés, dut ma modestie en souffrir, une certaine virtuosité à faire face à des situation imprévues, vint-il renforcer mon sentiment que je méritais une affectation digne de la plus haute considération. En laits de hauteur, celle que l'on m'offre à l'issue du stage me rapproche du cercle polaire ! Nous sommes trois Français à recevoir cette affectation nordique. Tous les trois' empruntons le train qui, trente six heures après avoir quitté Londres, nous dépose en gare de Thurso, dans le Finistère écossais. le bateau nous transporte sur l'île porte-avions dont la mission ne nécessite aucune explication puisqu'elle abrite la Home Fleet. Elle se résume en un mot : interdiction. Interdiction du ciel de Scapa Flow à tout avion non identifié. La Norvège est toute proche, l'intrusion d'un avion ennemi est à craindre à tout moment. Notre adaptation doit être rapide, facilitée par le fait que ce sont des Hurricanes qui équipent le 253;la reconnaissance du secteur est réduite à sa plus simple expression. Le tour de l'île ne requiert que quelques minutes.

Le mois d'août touche à sa fin, pourtant les jours semblent vouloir s'éterniser. Pendant quelques brèves heures, le soleil joue à cache-cache avec la terre, jetant ses rayons haut dans le ciel, occultant les étoiles. Cet éclairage indirect s'anime parfois de mille feux. De longues traînées ondoyantes strient le ciel, couleurs chatoyantes, tantôt jaune pâle, tantôt vert opale. Nos amis britanniques les désignent sous le terme de "Northern Lights". Nous lui préférons le nom plus poétique de : aurore boréale. Pour admirables quelles soient, ces lumières célestes ne sauraient nous faire oublier la raison de notre présence en ces lieux lointains. Toutes les nuits n'ont se côté agréable, tant s'en faut. Pour l'équipe de service à qui revient l'exécution de la patrouille de crépuscule, décollage vers 23 heures, l'exécution de la patrouille l'aube, cela signifie une nuit blanche. La difficulté est quelque peu atténuée, malgré le manque de repos entre les deux missions, en raison de la joie éprouvée avec le lever du soleil.

Il n'en est pas de même du vol crépusculaire. le crépuscule est trompeur sous cette latitude. Le ciel constamment éclairé ne rend pas perceptible l'obscurité qui, lentement enveloppe la terre, transforme 1'Océan en un gouffre insondable. Pendant près d'une heure, il nous faut survoler ce désert aquatique, pleins de dangers cachés. En quelques minutes, il se couvre de brume, la visibilité tombe brutalement en dessous de cent mètres. La formation du brouillard, par sa rapidité, fait naître l'angoisse quand on est au sol. De quelle ressource, sinon le déroutement vers un terrain lointain, dispose le pilote surpris par l'invasion galopante des stratus, couvrant l'océan d'un immense tapis blanc. Certes, il n'est pas très épais ce tapis, ce qui est d'autant plus rageant, mais comment le percer pour retrouver notre seule base de Skeabré sans alerter nos voisins, les marins, dont la détente est réputée facile et légère.

Aux sautes de la météo, aux dangers naturels, s'en ajoutent d'autres insoupçonnés des terriens. La carte de navigation perçue à l'arrivée comporte un corroyage qui se superpose au bleu de l'océan laissant penser à l'extension de la terre. En réalité', rectangles, carrés et autres figures en forme de patates sont déclarés zones rouges sur décision de l'Amirauté, leur survol soumis à autorisation spéciale sauf urgence. Mieux vaut donc s'en tenir éloigné. Les artilleurs de la Navy sont gens chatouilleux de la gâchette. Je l'apprends à mes dépens, pris pour cible par ces messieurs d'un destroyer de Sa gracieuse Majesté évoluant majestueusement dans un de ces carrés que je suppose m'être réservé. Mon admiration pour les arabesques aquatiques cesse sur le champ quand je cherche à deviner la destination des coups que laissent supposer les courtes flammes qui jaillissent du pont. Portant mon regard sur mes arrières, j'aperçois une ligne de flocons noirs qui semblent emprunter le sillage de mon avion. Inutile de s'interroger sur les responsabilités respectives, mieux vaut déguerpir. Ce que je fais, au risque de déplaire et décevoir quelques marins soucieux de parfaire leur entraînement.

Vers la fin du mois de septembre 1941, nous apprenons que n'aurons pas à faire l'apprentissage de l'hivernage. Non ! le 253 a bénéficié d'un repos suffisant dans ce lieu de tranquillité. Et puis de quelle utilités serait un escadron de chasse de jour pendant la longue période hivernale, sans compter les aléas de la météo. Nous quittons Skeabré et les Orcades pour un terrain plus méridional, nommé Hibalstow, situé dans la province du Lincolnshire. Ce transfert s'accompagne d'une mutation. Nous sommes destinés à devenir des Cat's eyes, expression qui, en bon anglais signifie "Yeux de chats". La nouvelle mission de l'escadron est la chasse de nuit. Ne croyez pas qu'il s'agisse d'une facétie, l'humour anglais a ses limites, la mission porte un nom à combinaison, juxtaposition de deux termes étranges : "Turbin Light" ! L'expression ne manque pas de surprendre nos experts en déchiffrement. On voit mal comment une turbine peut être à une lumière associée ? Le scepticisme gagne, renforcé par l'annonce que la transformation doit obligatoirement être terminée pour le début du mois de décembre ! De deux choses, l'une : ou le Commandement nous considère comme des pilotes surdoués ou la mission n'est que gnognote destinée à tromper les services de renseignements ennemis.

Le terrain d'Hibalstow entre dans la catégorie des terrains créés de toute pièce pour les besoins de la guerre. Situé à mi-chemin de la ville de Lincoln, au sud, et de l'embouchure de la rivière Humber, au nord, il fait figure d'intrus dans une région où don3-nent les groupes de bombardiers lourds. La mer du nord est toute proche. Nous n'avons pas le temps de nous appesantir sur les raisons de ce choix. A peine arrivés, sommairement installés, la transformation commence. Techniquement, celle de l'aérodrome est achevée, l'équipement comporte le système DREM, du nom de la ville d'Écosse où il a été expérimenté.

Equipement spécialisé, le système DREM permet l'exécution des opérations de nuit avec un maximum de garanties pour l'utilisateur tout en lui offrant le maximum de difficultés pour l'ennemi. Ceci, grâce à un éclairage très étudié et adapté, tant pour la phase du décollage sur alerte qui requiert l'instantanéité, que pour la phase du recueil, qui exige la sûreté. Toutes les lumières du balisage sont de couleur violette. Celles qui matérialisent le chemin de roulement, taxiway en anglais, ne sont visibles qu'à hauteur du poste de pilotage ; celles qui jalonnent les deux pistes refusent tout concours à celui qui se présente dans leur alignement à une hauteur supérieure à 1.000 pieds. Tout est prévu pour interdire et soustraire le terrain aux vues d'un intrus, ennemi ou non. Certes, ce camouflage jouerait aussi en notre défaveur, tout particulièrement dans la phase délicate du recueil sans 1'intervention, pour les seuls initiés, de l'appoint de deux jeux de lumières complémentaires qui ne s'éclairent qu'au reçu par le responsable de la tour de contrôle du "Sésame ouvre-toi", mot code qui change chaque jour.
Le premier jeu consiste en de puissantes lampes, de couleur violette elles aussi, disposées sur une couronne centrée sur le terrain d'un rayon de trois miles environ, couronne repérable que d'une hauteur de 3.000 pieds. En suivant ce guide tout en descendant à l'altitude de 1.500 pieds, le pilote est conduit vers un grand "V", matérialisé par six lampes, la pointe du V indiquant la piste en service et le sens d'atterrissage. Il suffit alors au pilote de laisser glisser l'avion vers l'altitude de 1.000 pieds, tout en s'alignant sur la bissectrice du V, pour apercevoir l'indicateur de pente placé à l'entrée de la piste. Cet indicateur comporte trois lumières, une seule étant visible à un instant don né, qui donne la conduite à tenir de manière à se placer sur la pente idéale : blanche : augmenter le taux de descente, rouge : danger, trop bas, remontez, verte : poursuivez.

La transformation est menée tambour battant malgré la casse. Il n'est pas rare d'observer, le lendemain d'une séance d'entraînement, un Hurricane, éclopé, nez planté dans le sol. Ce ne sont que blessures mineures mais dont la répétition inquiète notre Commandant, l'un des deux Anglais qui, exception faite d'un Ecossais qui se veut comme nous étranger, font du 253 une unité britannique. Nous surnommons les Anglais "Etrangers", étrangers, car ils sont minoritaires. Les Russes exceptés, tous les Alliés ou presque sont représentés avec les natifs des différents Dominions : Rhodésie, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande. Figurent, entre autres, quatre Français, deux Norvégiens, un précurseur venu du Nouveau Continent et qui place le Texas et San-Antonio avant les Etats-Unis. Il se présente toujours ainsi : Tate, c'est son nom, San-Antonio, Texas ! Il sera bientôt rejoint par un second Américain. La répétition de la casse menue laisse entrevoir, loi des probabilités, de plus sérieuses mésaventures.

Par une nuit d'encre, si noire que la modeste flamme d'une allumette serait perçue à une distance de cents mètres, deux Hurricanes roulent vers la piste pour un exercice d'entraînement en formation. Contrairement aux apparences et à certaines affirmations, le roulage n'est pas, dans les circonstances présentes, l'opération simple que d'aucuns voudraient laisser croire. Les consignes d'éclairage du bord sont draconiennes. Interdiction d'allumer les feux de position, sauf cas d'urgence, si bien que nous oublions leur existence jusque et y compris le petit levier qui les commande. Seul est autorisé le lumignon placé sous le fuselage et qui, dans l'esprit du concepteur, devait servir aux communications au sol, grâce à l'alphabet Morse. Ce lumignon n'est de quelque secours pour l'équipier que dans la mesure ou le leader promène son halo blafard sur l'asphalte noire du chemin de roulement; et, zigzaguant. Feu follet capricieux, ce lumignon n'a-t'il pas rempli son office cette nuit là ? Quoi qu'il en soit, cela nous vaut la visite courroucée du grand chef des Cat's eyes. Furieux, il apparaît dans l'encadrement de la salle des pilotes qui ignorent tout du drame vécu par leurs deux collègues et amis. D'un regard fulminant, il balaie la salle à la recherche des deux coupables.

Instruit par la tour de contrôle, alerté par le leader des Hurricanes, à moins que ce ne soit par l'équipier fort ému, le grand chef sait, image insoutenable, que 1'un des deux avions gît quelque part sur le terrain, terrassé, inanimé, la moitié du corps emportée, son nez de supplicié implorant le ciel. Le second, nous le verrons le lendemain, présente son hélice sous la forme peu attrayante connue sous le vocable ce "chou fleur". Spectacle lamentable que cache pour 1'instant l'obscurité. Pourrait on, au moins, avec l'une de ces épaves, donner vie à la moins meurtrie ? Nous en sommes là de nos réflexions quand la porte s'ouvre à nouveau pour donner passage à nos deux amis, si brutalement stoppés dans leur élan. Le leader, visage pâle sous le coup de la commotion - on le serait à moins, se sentir choir sur son séant, dans le noir, jusqu'à raser l'asphalte de ses fesses, sentir le souffle d'une hélice qui, inexorablement, avance dans un bruit de cisailles, n'est pas une situation agréable - l'équipier, tout penaud pliait sous le poids de son parachute et de son péché. Cette image pathétique ne désarme pas l'ire du chef. Tel le couperet de la guillotine tombe la sentence : "Next time you both will be fired out !" Fort heureusement, l'ange des Cat's eyes veille sur son troupeau. Next time, ce sera celui du chef. Le hasard le fait à son tour bourreau. Il jette d'un geste rageur son parachute au fond de l'armoire, s'en va sans dire un mot, méditant sans doute sur les aléas de la loi des probabilités.

Nos Hurricanes, du type IIC, armés de quatre canons ce 20mm, changent de robe pour mieux épouser la nuit. On les enduit d'une peinture noire, noir mat qui doit absorber le feu de la pleine lune. Tout doit se fondre dans . la nuit. Aux pilotes, il est interdit de porter un vêtement blanc, un régime spécial nous est prescrit, sans compter les trois pilules quotidiennes destinées à nous donner des yeux de chat. Ce qui n'empêche pas le cuisinier de fermer sa cambuse aux retardataires qui ont la malencontreuse idée de voler pendant l'heure officielle des repas. Accoutumer les yeux a la nuit est plus qu'une nécessité. On nous dote d'une paire de lunettes spéciales dont le verre, de couleur rouge, ne laisse filtrer qu'une lumière tamisée pour nous permettre de vaquer aux besoins les plus urgents sans trop de difficultés. Ordre nous est donné de les porter quinze à vingt minutes avant un simple vol d'entraînement, pendant toute la durée dans les périodes d'alerte. Elles ne doivent être retirées qu'une fois le seuil de la porte franchi, porte refermée.

Installation à bord des avions, opérations de vérification, mise en route du moteur s'exécutent dans le noir. Certes, le mécanicien dispose bien d'une lampe électrique. Sauf urgence, elle n'a d'autre fonction que de signaler au pilote, de retour de missionnaire de stationnement de l'avion. Parfois la tentation est grande de l'appeler au secours d'une main malhabile, handicapée par un volumineux gant en période d'hiver, main qui cherche désespérément le minuscule rhéostat qui rend vie aux instruments rendus muets par la nuit. Bannies. les lampes à rayons ulura-vi6lets, elles sont remplacées par des bulbes léger qui projettent une lumière d'un rouge atténué. Néanmoins, il est recommandé de placer le rhéostat sur la position minimum. Les murs de l'escadrille se tapissent fantomatiques dont nos yeux et nos cerveaux doivent s'imprégner au titre de la "recognition", de l'identification des types d'avions susceptibles d'être rencontrés. Ces contours diffus ne se distinguent les uns des autres que par quelques points légèrement plus lumineux : les pipes d'échappement des moteurs. Ces tâches représentent la seule référence pour nous aider, le moment venu, à identifier l'avion intercepté. De façon régulière, nous sommes soumis à ces tests de vision nocturne et d'identification.

Courtes dans l'exécution, ces séances demandent une longue et fastidieuse préparation. Par groupe de quatre ou cinq, nous passons par un sas, véritable chambre noire, de manière à préparer pendant quarante cinq minutes, voire une heure, nos pupilles occultées par des lunettes dont 1'opacité interdit tout déplacement. Les plaisanteries, seule distraction pour des aveugles sagement assis, perdent rapidement leur sel. Le temps de l'immobilisme passé, un moniteur nous conduit dans la chambre du supplice, local sans ouverture sur l'extérieur. Assis autour d'un instrument étrange, sorte de kaléidoscope géant, retenus à nos chaises par un lien qui limite tout mouvement vers l'avant, il nous est demandé de bien vouloir identifier, d'inscrire sur une fiche ad hoc les noms des formes diffuses et fugitives censées représenter les aéronefs amis ou ennemis présentés. Et chacun de tendre le coup pour tenter pour reconnaître la silhouette qui défile. Immanquablement, le claque ment d'une pince, rendue à sa liberté dénonce le tricheur. Dans le silence des ténèbres, le moniteur localise immédiatement le coupable.

L'entraînement se poursuit, celui du groupe voisin aussi. Les avions qui équipent celui-ci sont d'un type très particulier. Bien que connus sous l'appellation de "Havoc" (ravageur), ils n'emportent aucun armement ! Le Havoc appartient à la famille des Douglas bimoteurs DB 7 et autres Bostons dont ils ne diffèrent que par un nez tronqué et un nombre impressionnant d'antennes de toutes tailles. Le nez, toujours recouvert d'une bâche quand l'avion est au sol, ce qui ne manque pas d'attirer le regard des curieux, abrite un phare puissant. Sans doute, est-ce cette trouvaille qui est à l'origine du second terme de "Turbin-Light" ? Les antennes alimentent un radar de bord, appelé familièrement Ai. Aïe, prononcez E aille, pour "Airborne indicator". C'est cet "E aille" qui nous fera turbiner, nous les pilotes de monoplaces. Pour assouvir son immense appétit électrique, des batteries en nombre impressionnant occupent le moindre espace disponible dans le fuselage. Ainsi, le Havoc vole-t-il pratiquement, ou presque, à pleine charge.

Dans la mission Turbin Light, le rôle principal incombe au Havoc, grâce à son équipement de recherche et d'éclairage. Le Hurricane apporte le complément : son puissant armement. La mission est simple, toute dans l'exécution. Voici ce qui attend les pilotes de Hurricanes quand l'entraînement entrera dans sa phase finale et après jumelage avec un équipage de Havoc de un ou deux pilotes de monoplace.

Guidé par le contrôle radar au sol, connu de tous les chasseurs sous le sigle de G. C. I (Dji ci aille, en anglais) pour Ground Control Interception, le Havoc recherche, localise l'ennemi, positionne le Hurricane, éclaire l'avion ennemi. ! Au hurricane de faire le reste et revenir au terrain par ses propres moyens, en observant, autant que faire se peut le silence radio, de rigueur. Tout comme le Hurricane, le Havoc porte une robe de nuit, d'un noir mat profond. Toutefois, en l'approchant, un curieux ne manquerait pas de remarquer deux bandes blanches, insolites placées sur le bord de fuite de l'aile, de part et d'autre du fuselage. Longues d'environ un mètre et large de trente centimètres, ces bandes s'appellent "Windows" ou fenêtres dans notre langage codé. Elles s'éclairent à la demande du pilote de Hurricane, sinon à sa convenance, grâce à deux petits projecteurs ultraviolets commandés par l'opérateur radar du Havoc. Devenues luminescentes une fois éclairées ces fenêtres doivent permettre de conserver la cohésion de la patrouille, et de traverser sans encombre les couches nuageuses.

Ceci est la théorie. Malgré nos appels réitérés, souvent angoissés, ces fenêtres restent fermées, en particulier lorsque l'interception entre dans sa phase active. Pilote et radariste du Havoc, à l'écoute permanente du contrôleur au sol, ignorent nos appels. Tendus vers l'interception, ils oublient le pilote du Hurricane à l'écoute de la seule fréquence qui le lie au Havoc et, de ce fait, dans l'ignorance la plus totale de ce qui se trame. Que lui importe en cette circonstance de savoir ou se trouve l'objectif', son azimut et sa distance. Transi de froid car il vole avec la cabine ouverte pour mieux tenir la formation il n'a d'autre souci que le bout de l'aile du Havoc qu'il ne quitte pas des yeux de peur de ne plus le retrouver. Manœuvre d'autant plus délicate que l'aile du Hurricane est droite, alors que celle du Havoc accuse un dièdre positif, ce qui ne lui facilite pas la tâche.

Certes, l'entraînement aidant, l'expérience, les astuces, la réflexion, les échanges avec les camarades, il finit par découvrir la position qui, en fonction de l'éclat du ciel, lui. permet de distinguer la silhouette de son guide, de la détacher sur le fond de la nuit. Le vol devient alors une ballade, a "piece of' cake" comme disent les Britanniques. Mais que se présente un nuage, voire un de ces cumulus annonciateur de beau temps et tout est remis en cause jusqu'à ce que la lune, si elle veut bien être de la partie, découpe la silhouette du Havoc sur fond de nuage. Ah ! Monsieur Douglas, que n'eussiez vous doter votre avion d'une, aile droite ! Cela nous aurait permis de pas transgresser les lois de 1'orthodoxie en matière de pilotage, nous évitant ainsi d'imiter le crabe. Car il nous faut coûte que coûte, maintenir la formation. Ajoutez à cet impératif' que le Hurricane de dispose pas de la dernière trouvaille dans le domaine de la radio : la commande de l'émission intégrée au manche à balai. Pour émettre, il nous faut lancer la manette des gaz pour manœuvrer la précieuse commande radio. En tout état de cause, il importe de prévoir le pire et d'agir en conséquence : se placer de manière à conserver en vue le seul repère valable, la pipe d'échappement d'un des moteurs du Havoc, tout en gardant présent à l'esprit que l'hélice du Hurricane constitue un redoutable battoir.

Comment se déroule un mission-type ? Pour des raisons de simplicité, oublions pilote et équipage pour nous référer aux seuls avions. Le Hurricane décolle en premier, serre au plus près la piste tout en montant à l'altitude de 1.000 pieds, se présente dans le "'V" lumineux à la vitesse requise. Au signal "Go" du Hurricane, le Havoc s'élance à son tour. Le Hurricane manœuvre de manière à rassembler le plus rapidement possible sur le Havoc pour lui permettre de prendre sans tarder le cap ordonné par le contrôleur d'interception. Ainsi formée, la patrouille passe aux ordres du G.C.I. A l'occasion de certains vols d'entraînement, la patrouille s'augmente d'un second Hurricane chargé d'assurer le rôle de plastron. Une fois l'altitude atteinte, le contrôleur guide le Havoc jusqu'à la prise en compte de l'interception par le radar de bord dont la portée est limitée. Jusqu'ici, au travail du vol en formation prés rien que de très banal. Dés l'entrée en action du radar de bord, la patrouille prend son véritable sens, sa raison d'être. Alors interviennent les hommes:

Le radariste place la patrouille dans la meilleure position en vue de la phase finale de l'attaque, en l'occurrence la position plein arrière, donne la vitesse à adopter pour le rapprochement. De ces éléments ' dé pend la réussite et la rapidité, d'exécution afin d'éviter tout dérobement de l'objectif. Ces éléments une fois affichés, le pilote du Havoc lance le mot-code de l'attaque. Aussitôt, le pilote du Hurricane se glisse sous le ventre du Havoc, libère son gyro-directionnel préalablement placé sur zéro, pousse à fond sa manette des gaz pour se porter en avant du Havoc, prêt à libérer ses quatre canons. Parvenu à la bonne distance estimée, le pilote du Havoc inonde la cible de la lumière de son phare. L'éclat doit être le plus bref possible, car ainsi éclairé, le Havoc devenu une proie facile pour les mitrailleurs ennemis. Le reste se devine aisément. Sauf pour le malheureux pilote du Hurricane.

Livré à lui-même, abandonné par son guide, perdu dans les ténèbres, son tout premier geste est de refermer sa cabine pour retrouver quelque confort. Il sélectionne ensuite la fréquence radio prévue, donne son indicatif, laisse traîner l'émission pour que l'opérateur au sol relève coup sur sa position et lui communique le cap retour, bien que cette in formation n'ait pas été expressément demandée. En effet, pour un Cat's eyes, demander un cap, c'est manquer de fierté. Pareille requête ne se fait que dans une situation extrême, sous peine de déchoir aux yeux des autres chats, à l'affût de la moindre faiblesse. Dans les vols d'entraînement Turbin light, les Hurricanes sont ramenés sur le Havoc par le contrôleur au sol, exercice complémentaire et simple d'interception.

Notre mission de chasse de nuit serait incomplète sans la mention de deux types d'intervention autonomes. En effet, l'escadron doit être en mesure d'intervenir avec la totalité des moyens disponibles dans le cas d'un raid important dépassant la capacité des Havocs. Les monoplace sont alors engagés isolément soit sous contrôle radar dans la mesure des fréquences radio disponibles, soit en chasse libre. La première ne diffère guère de la mission Turbin light, si ce n'est que le pilote du Hurricane ne peut compter sur la maîtrise du contrôleur d'interception et sur ses propres yeux de chat. L'exécution de la seconde fait appel à un dispositif de balisage simple qui permet au pilote de se placer rapidement dans le secteur assigné. Chaque secteur est matérialisé par le faisceau lumineux d'un phare de D. C. A, projeté verticalement et complété par une balise à éclats pour son identification et dont le code change chaque jour. Ce sont ces mêmes balises qu'utilisent les pilotes au retour d'une mission Turbin light afin d'éviter d'encombrer les liaisons radiophoniques.

A peine le mois de décembre s'annonce-t-il que le Commandement nous déclare opérationnel, du moins pour les missions jugées simples, interception en isolé, guidées ou non. Se greffent les missions de protection des convois maritimes, nous prenons alors le relais de nos camarades de la chasse de jour. Comme dans les îles Orcades, elles se déroulent au crépuscule ou à l'aube, mais, hélas ! dans une ambiance bien différente. En cette période ce l'année, le soleil nous quitte très tôt pour ne réapparaître que très tard. Mission épuisante qui exige une grande tension nerveuse, car exécutée au-dessus d'un milieu hostile et à bas altitude, condition imposée pour ne point risquer la détection d'un radar ennemi ou d'un intrus qui aurait tôt fait de localiser le convoi. Notre présence ne suffit pas à rassurer nos amis marins qui persistent à laisser traîner au-dessus de leurs navires les ballons de protection contre les attaques à basse altitude. Si ces derniers, volumineux et de couleur claire, sont visibles à courte distance malgré l'obscurité, il n'en est pas de même des câbles d'amarrage qui constituent un danger permanent. Cette mission s'exécute généralement à quatre. avions. Comme elle manque d'attrait, nous compensons cette lacune par des concours, par exemple, l'atterrissage des quatre avions dans le minimum de temps, décompté à partir du moment de la prise de contact avec la tour de contrôle et l'instant où le dernier avion dégage la piste. Le record fut établi par une patrouille dont j'eus l'honneur de faire partie avec un temps de 75 secondes !

Ce métier délicat, ingrat parfois, procure quelquefois des satisfactions car l'humour ne perd pas ses droits. Ainsi, cette nuit, une nuit bien sombre, quand, subitement, la fièvre et l'agitation s'emparent du terrain, l'atmosphère est à l'émoi : le Commandant du groupe des Havocs serait victime d'un accident à l'atterrissage ? Lui-même aurait annoncé le "crash" à la tour de contrôle par radio. L'avion, immobilisé, moteurs coupés, obstrue la piste. Les véhicules de sécurité se précipitent vers le lieu signalé. Respectueux des consignes de "Black-out" qui interdisent l'usage des phares, les chauffeurs perdent un temps précieux pour repérer le Havoc sur l'asphalte noir. Enfin, pompiers et infirmiers découvrent l'avion et, assis sur le sol, le dos appuyé contre une roue, le Commandant :
Are you all right, Sir ? (Est-ce que tout va bien, Commandant ?)
No, I am dead since two minutes and forty five seconds! (Non, je suis mort depuis deux minutes et quarante cinq secondes !)
Cet accident simulé n'avait d'autre objet que de vérifier la célérité des services de sécurité. A quelque temps de là, je devais bénéficier de cette heureuse initiative qui, sauf à enfreindre la règle du fair-play, ne pouvait être que le fait du Prince.

Après un décollage sur alerte, une longue attente au-dessus d'une épaisse couche nuageuse, j'amorce la descente. A peine entré dans la ouate, le moteur qui cafouille désagréablement à la suite d'un début de givrage du carburateur. Fort heureusement, la nuit me cache ce qui a pu s'accumuler sur les plans. Je me précipite vers la piste. Gêné par une pluie battante, j'effectue un atterrissage qui met à l'épreuve la solidité du Hurricane. Vu de jour par une autorité, il aurait décidée celle-ci à me renvoyer en école. Je percute la planète, le mot n'est pas trop fort. Sous le choc, un pneu éclate. L'avion rebondit à une hauteur vertigineuse à en juger par le temps de retour dés lors qu'il se décide à se soumettre de nouveau à Newton. Ah !cette impression de choc dans le vide me donne du moteur pour ralentir la chute. Le nez se redresse, me cache les lumières de la piste, mon seul repère. C'est le noir absolu; l'impression de flottement persiste. Enfin, la roulette de queue, annonce le sol. Apparemment, l'avion est, encore au-dessus de l'asphalte. Pas pour longtemps. Le train arrive au contact. Sous l'effet de la roue éclatée, il pique vers l'herbe, le nez menaçant. Le temps de couper les contacts, déjà me parvient la voix inquiète du contrôleur, vraisemblablement alerté par le grondement inhabituel du moteur dans cette phase finale d'un vol, surgit dans mes écouteurs
- Are you all right ? suivi de mon indicatif radiophonique
Ne souhaitant pas dramatiser la situation malgré les détestables conditions atmosphériques, je réponds calmement en faisant appel à mon plus bel anglais
- I have blown a tyre ! (Pneu éclaté)
- Say again ? (Répétez !)
- I have blown a tyre!
- You have what ? ( Vous avez quoi ?)
- Crrraaasn !
Quelques secondes après avoir prononcé le mot magique, je suis l'objet des soins attentifs des personnels de sécurité, d'autant plus attentionnés que mon anglais ne semble les satisfaire qu'à moitié. Le mot magique me vaut la visite du Commandant des Cat's eyes. Jamais été entouré de tant de prévenances.

Les incidents sont nombreux. Loin d'entamer notre confiance, ils nous incitent, fierté de précurseurs, à rechercher des solutions originales pour améliorer notre rendement en dehors de certaines initiatives du Commandement qui, sans doute informé par les responsables du G.C.I. décide de nous perfectionner dans le domaine de l'interception. A les croire, certains d'entre nous confondraient les notions de Port et de Starboard, le "paille et foin" du bon vieux fantassin. L'instrument pour conduire à bonne fin ce perfectionnement n'est autre que la ... brouette ! Certes, une brouette équipée et autonome, elle fournit elle-même le courant électrique indispensable au bon fonctionnement de l'appareil de radio, l'âme de l'interception guidée. Elle est suffisamment lourde, avec ses nombreuses batteries, pour inciter plastron et intercepteur à réfléchir pour ne pas risquer de traverser le terrain eu revenir bredouille. Le but est on le devine, de nous apprendre à nous situer dans l'espace par rapport à un objectif qui défile et qui peut, à chaque instant modifier sa route. Cela peut paraître enfantin à un chasseur de jour, mais il est des évidences qui s'évanouissent la nuit.

Estimant trop long les délais de décollage d'une patrouille "Turbin-light", Yves Mahé, après accord du coach Néo-Zélandais, pilote de Havoc, décide de tenter un décollage en formation serrée, malgré l'écart d'accélération entre les deux avions, leur taille différente et la largeur limitée de la piste d'envol. Pour donner toute sa valeur à la tentative, à moins que ce ne soit pour la cacher aux vues de nos chefs respectif qui l'auraient sans doute interdite, elle se déroule de nuit. Elle réussit, mais ne sera jamais renouvelée. Le Commandement, :inquiet, intervient pour l'interdire à jamais.

Dans la même optique, jugeant inutiles, fastidieux, parfois dangereux le roulage, sans compter qu'il pénalise les délais du décollage, nous nous amusons, lors des "scrambles" (décollages sur alerte) par nuit claire à mystifier le contrôleur de la tour. Après avoir demandée obtenu le roulage, le jeu consiste à se précipiter vers la piste la plus proche, à lancer le moteur à plein gaz tout en annonçant :
- "Taking off !" (Je décolle).
Aussitôt nous parvient la voix chargée d'anxiété du contrôleur :
- Quelle piste utilisez-vous ?
- La 270.
L'instant suivant, le balisage s'éclaire sur la dite piste. Respectueux de la bonne règle, le contrôleur tient à remplir son office jusqu'au bout, à moins que ce ne soit pour participer à l'exploit.

Pareilles libertés, prises grâce à l'impunité que confère la nuit et à sa complicité qui interdit tout constat direct et immédiat, conduisent parfois à des situations cocasses, sinon scabreuses. Ainsi d'une certaine nuit qu'allège un brillant clair de lune !

Revenant d'une de ces ribottes qui rendent les retours euphoriques alors que le véhicule qui ramène nos gais lurons longe le bâtiment de la 2ème escadrille, l'alerte générale survient qui déclenche chez eux le réflexe conditionné et frappe leur esprit échauffé. Tiens, tiens ! se disent-ils, tous les avions en même temps ? Ce doit être un grand coup. Un grand coup, cela ne s e rate pas. Et puis, les copains d'alerte apprécieront ce coup de main impromptu ! Quoi de plus simple par une nuit pareille ? Un quart d'heure après notre décollage ordonné, sur la fréquence d'interception s'élèvent des voix éraillées, goguenardes, demandant cap et altitude... Ce charivari radiophonique provoque quelque émoi dans la studieuse et très sérieuse salle de contrôle qui devient subitement muette sous l'effet de l'avalanche. La surprise passée, le calme revenir, une voix impérative, sans doute celle du Chef contrôleur en personne, intime aux audacieux de rejoindre sans délai le terrain. Ce qu'ils font sur le champ, la cure d'oxygène ayant quelque peu éclairci les idées.

Une autre fois, l'aventure ou, plutôt, la mésaventure, est solitaire, du moins jusqu'à un certain point. Par une nuit obscure, le pilote s'égare après l'atterrissage, refuse le concours clé la tour de contrôle, poursuit son chemin pour gagner l'alvéole de stationnement quand, brusquement, surgit devant le nez du Hurricane une masse énorme, plus sombre. Le pilote freine brutalement, stoppe, cherche à comprendre la raison de cette subite apparition quand, dans cette masse inerte, se découpe un rectangle de lumière. C'est un mécanicien qui, inquiet d'entendre si proche le bruit familier d'un un moteur, vient d'ouvrir la porte de la salle des techniciens.Il n'en croit pas se yeux. Dans le rai de lumière, décrivant une brillante circonférence, tourne l'hélice d'un avion Hurricane. Il agite ses bras, signifie au pilote de couper le moteur. La distance qui sépare l'avion de la baraque interdit toute manœuvre, sauf la marche-arrière. Malheureusement, le Hurricane ne dispose pas d'un tel dispositif, l'hélice à pas réversible. Tout en aidant le pilote à se défaire de son harnais, il a cette parole pleine d'humour : In a hurry to get in, Sir ? (Pressé de rentrer, Monsieur ?)

Excès de confiance qui ne tire pas à conséquence et dont je fais, moi aussi l'expérience. Est-ce à l'issue d'un vol nocturne Turbin light ou d'un exercice de chasse libre ? Je n'en ai plus souvenance. Peu importe. Désireux de rentrer sans aide aucune, je prends le cap du retour, comptant sur les balises à éclat-5pour me repérer en cas de besoin. Là nuit est claire, une brume légère enveloppe la terre mais laisse apparaître les repérés habituels : le canal qui longe le terrain a à l'est, le faux aérodrome dont les lumières brillent dans le lointain, la côte et l'embouchure de la rivière Humber. J'amorce la descente sans remarquer que le champ visuel se rétrécit. . Un reflet brillant ? Je constate, à mon grand étonnement, que je viens de :franchir le canal. Demi tour sur la balise nouvelle manœuvre, même résultat négatif ! L'altitude trop basse m'interdit d'appeler le contrôleur. Ah ! qu'il serait doux et réconfortant d'en tendre sa voix : Steer... Distance... Mais il est trop tard.

Heureusement, une fois encore, l'ange des Cat's eyes veille. Il m'adresse une aide inattendue sous la forme d'une immense silhouette qui se découpe dans le ciel, juste au-dessus de ma tête. J'identifie sans difficulté un bombardier du type Wellington, avion dont est doté l'escadre stationnée à Scampton, terrain voisin. Jamais bombardier ne fut si bien venu. Son altitude suggère qu'il s'apprête à atterrir. Je me précipite dans son ombre, au risque de frapper de terreur le mitrailleur de la tourelle arrière. Il doit être éberlué par cette apparition insolite. A bord du Wellington, la discussion doit aller bon train. Quelle conduite tenir vis-à-vis de cet intrus ? Ma chance ? Le fait de voler sur un monomoteur qui le classe, dans l'esprit du Commandant de bord, parmi les amis. Sans quoi mon sort serait rapidement réglé vue la faible distance qui nous sépare. Je respire et me réjouis de mon initiative quand j'aperçois le train d'atterrissage de mon guide qui descend lentement. Sans hésitation, j'exécute la même manœuvre, suis le Wellington qui amorce la descente, ignorant l'angoisse des personnels de service au starter, qui, alertés par la tour de contrôle, s'attendent à vivre une tragédie. Ils poussent un "ouf" de soulagement quand, après le Wellington, le Hurricane pose se roues au sol. Je ne rejoindrai mon terrain de stationnement que le lendemain.

Mais trêve d'aventures ou mésaventures aéronautiques, fussent'elles le fait de cette race particulière des Cat's eyes impliqués ou non dans la mission non moins particulière de Turbin light. Il n'en demeure pas moins que ce "turbin" très spécial se répercutait à notre insu sur notre comportement quotidien, comme le montre l'histoire qui suit.

Certaines périodes d'alerte, pendant lesquelles un seul pilote veille, sont extrêmement fastidieuse au point de rendre irritable les caractères les plus doux. L'attente de la fatidique sonnerie du téléphone n'est pas de nature à apaiser l'atmosphère du solitaire. C'est ainsi qu'une nuit, vers deux heures du matin, heure à laquelle aucun bombardier n'a daigné déroger pour son repos, la sonnerie retentit dans la salle des pilotes de Havoc. Bond du pilote qui décroche le combiné. Silence. Malgré ses appels, le téléphone reste muet. C'est donc sur 1'appareil du service courant que quelqu'un appelle. Mais qui peut bien appeler à une heure pareille, s interroge le pilote, un Néo-Zélandais, leader de la patrouille "Turbin light" de mon ami Yves Mahé, sinon un plaisantin. Il décroche l'appareil :
- Yes ?
- Speaking Group Captain (ici le Colonel...)
- If you are the Group Captain, I am the B... King George the... (si vous êtes le Colonel alors je suis le Roi le nième ! suit un juron typiquement britannique)
Il raccroche. Une demie heure passe, un coup à la porte de la salle d'alerte :
Who is there ? (Qui est là) demande le Néo-Zélandais.
The B... King George the... !
L'affaire n'a pas de suite, le Colonel, car il s'agissait bien de lui n'avait d'autre intention que de bavarder et tenir compagnie aux veilleurs.

Après la chasse de nuit, sans transition, je rejoins la chasse de jour en Russie. Mais ceci est une toute autre histoire..."


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Chuck
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xan




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MessageSujet: Re: Fantastique texte de Joseph Risso   Fantastique texte de Joseph Risso EmptyJeu 4 Oct 2012 - 19:34

Un grand grand merci Chuck de nous avoir fait partager le témoignage de ce grand monsieur qu'était Risso.
Le texte est très touchant , les évocations de Mahé et de Maridor Maridor le sont tout autant...
merci encore

Xan
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PascalG

PascalG


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MessageSujet: Re: Fantastique texte de Joseph Risso   Fantastique texte de Joseph Risso EmptyJeu 4 Oct 2012 - 19:52

Oui, merci pour ce texte! cheers Joseph Risso est l'un des pilotes qui me touchent le plus, sans doute de par sa modestie et sa discrétion. Et comme il avait pour amis Yves Mahé et Jean Maridor... Very Happy

Pascal
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